| Crée le 27.02.2023 à 09h55 | Mis à jour le 27.02.2023 à 10h55
Basée sur la notion de citoyenneté, la loi sur l'emploi local est vouée à être redéfinie par le statut qui sortira des discussions institutionnelles. Photo Thierry Perron
Entrée pleinement en vigueur en février 2012, la loi sur l'emploi local trouve son origine dans l'accord de Nouméa. Mise en place à une époque de quasi plein emploi, elle peine à répondre aux problématiques actuelles. Basée sur la notion de citoyenneté, elle est, de toute façon, vouée à être redéfinie par le statut qui sortira des discussions institutionnelles.
" C'est une couillonnade !" En un mot, l'USTKE fait voler en éclats le discours consensuel qui entoure la loi sur l'emploi local. Pourtant, onze ans après sa mise en application, les autres syndicats et le patronat en parlent comme d'un outil utile au pays qui a su dépasser les clivages politiques.
"La génération d'aujourd'hui ne va pas attendre, donc elle part."
Pas pour l'Union syndicale des travailleurs kanak exploités, mobilisée sur le sujet depuis 1991 et qui n'entend pas "laisser oublier que le but de ce texte est le rééquilibrage".
Une position que ne partage pas du tout Tony Dupré (Cogetra), qui vient de prendre la présidence de la Commission paritaire pour l'emploi local (CPEL), en charge de la bonne application de la loi. Cet organe paritaire est composé de représentants des syndicats de salariés et du monde patronal. La présidence, d'une durée de deux ans, alterne entre les deux collèges.
"Ne pas confondre emploi local et rééquilibrage"
Tony Dupré de la Cogetra préside pour la quatrième fois la Commission paritaire pour l'emploi local. Photo M.C.
Pour celui qui assume la présidence de la CPEL pour la quatrième fois : " Il ne faut pas confondre emploi local et rééquilibrage. C'est avant tout un acte fondateur de l'accord de Nouméa qui a été voté à l'unanimité par le Congrès." Il en rappelle le principe : " L'embauche d'un citoyen de la Nouvelle-Calédonie est la règle. À défaut d'un citoyen, à compétences égales, l'employeur doit recruter une personne justifiant d'une durée suffisante de résidence." Mais pour l'USTKE, " cette loi doit être axée sur les Kanak qui sont toujours les premiers à être discriminés. Ils doivent être mis au centre du dispositif, sans pour autant exclure les autres ethnies. "
Mélanie Atapo, première vice-présidente de l'Union, souligne : " On ne cesse de nous taxer de xénophobie. Mais nous ne sommes pas les seuls à protéger notre population. Les pays scandinaves le font aussi et personne ne trouve rien à redire."
L'une des "armes" de la discrimination que pointe l'USTKE est l'expérience demandée par les employeurs. " Même quand de jeunes diplômés issus des 400 Cadres postulent, c'est ce qu'il leur est opposé : pas assez d'expérience." Un écueil que le syndicat n'est pas le seul à signaler : "Nous avons un gros problème pour l'accès à l'emploi des jeunes diplômés, confirme Tony Dupré. La loi précise que l'on est prioritaire à qualifications et compétences égales. Le diplôme, c'est factuel. Quand il s'agit d'évaluer la compétence, l'entreprise met en avant le manque d'expérience pour refuser une candidature."
Compétences "égales" versus compétences "suffisantes"
Christiane Waneissi, qui vient de quitter la présidence de la CPEL qu'elle occupait au titre du collège employeurs, et Bertrand Courte, vice-président du Medef. Photo M.C.
Ce que déplore grandement Jean Saussay, qui siège à la CPEL depuis sa création, au titre de l'UT-CFE CGC : "Les entreprises demandent à nos jeunes d'avoir de l'expérience et d'avoir un peu bourlingué. Ils reviennent de l'école, c'est donc impossible. Je comprends que l'entreprise, dans sa volonté de rentabilité, n'ait pas le temps de former. Acquérir de l'expérience en Métropole, c'est plus simple. Ici nous n'avons pas beaucoup d'entreprises qui peuvent répondre aux spécificités d'une formation. Ce que l'on conseille c'est de partir faire des études et de rester acquérir un peu d'expérience, ne serait-ce que trois ou quatre ans avant de rentrer. " L'USTKE, par la voix de Marie-Chanel Mataila, membre de la CPEL, a une solution à proposer : " Remplacer dans le Code du travail "à compétences égales" par "à compétences suffisantes et nécessaires".
Pour Bertrand Courte, vice-président du Medef : "Aujourd'hui, ce qui manque cruellement à la Calédonie, c'est la mise en place d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. C'est une chose que le Medef a demandé au gouvernement de mettre en place. On arrive à avoir des gens formés qui ne sont pas en adéquation avec la réalité, pourtant nous avons beaucoup de mal à recruter." Avec des exemples à l'appui : "Il y a deux semaines, j'étais à une commission de validation des candidatures présélectionnées pour Cadres Avenir. Cent onze d'entre elles l'ont été, mais uniquement quatre dans le domaine du numérique qui est très demandeur. Dans le domaine de la santé, on avait une seule demande pour un médecin généraliste."
"La génération d'aujourd'hui ne va pas attendre, donc elle part"
Marie-Chanel Mataila et Victor Wejieme, membres de la CPEL secteur privé et Mélanie Atapo, première vice-présidente de l'USTKE. Photo M.C.
Même constat de Jean Saussay : "Je constate qu'il y a toujours des carences parce que nous n'avons pas su préparer le vivier de professionnels dont nous pourrions avoir besoin aujourd'hui. Pendant des années, personne ne s'est préoccupé du développement économique pour les générations futures. On a vécu au temps présent. Trente ans après les accords, on est encore à se poser la question du statut. La génération de maintenant ne va pas attendre, donc elle part." Une hémorragie qu'il faut absolument juguler pour le président de la CPEL, Tony Dupré : "Ce sont les forces vives du pays dont nous nous privons. Pourquoi ne rentrent-ils pas ? C'est un constat que l'on partage avec le patronat. On se dit tous que la réflexion doit être engagée par le politique et avec nous."
De fait, pour lui, "que ce soit en matière d'emploi ou de formation, le millefeuille institutionnel entre les compétences de la Calédonie et de chacune des provinces conduit à des absurdités. L'absence de synergie dessert les demandeurs d'emploi. Une offre est déposée en province Sud mais le jeune qui est dans le Nord ou dans les Iles n'a pas accès à l'information. Nous avons demandé un outil à l'échelle pays informatisé pour consulter les offres d'emploi. Mais on ne ressent pas une volonté politique d'améliorer les choses. Le futur statut devra prendre en compte cette problématique, l'emploi et la formation doivent revenir à la Calédonie." Cette fois, l'USTKE est sur la même ligne, comme le confirme Victor Wejieme : "C'est dès l'école que les choses doivent se jouer. Or, nous sommes en complet décalage avec les besoins du pays. Nous avons besoin de visibilité à court, moyen et long terme pour former correctement nos jeunes."
Quelle citoyenneté demain ?
Jean Saussay, de UT-CFE-CGC : "Je constate qu'il y a toujours des carences parce que nous n'avons pas su préparer le vivier de professionnels dont nous pourrions avoir besoin aujourd'hui." Photo M.C.
Pour cela, le Medef préconise un système plus directif : "Tout le monde ne veut pas être médecin, mais ne peut-on pas aiguiller les jeunes ?, interroge Bertrand Courte. Envisager de dire : dans le numérique, il y a cinquante places, il faut donc fournir ces cinquante places. Savoir dire aussi que dans tel ou tel domaine, nous n'avons pas d'offres. Il faut se projeter sur les besoins de demain et orienter nos jeunes vers des métiers dans lesquels on est sûr qu'ils trouveront un débouché et qu'ils serviront l'économie du territoire. "
Les discussions institutionnelles se profilant, le sujet brûlant de la citoyenneté est dans tous les esprits. Tony Dupré le reconnaît : "C'était compliqué au début de la commission. Nous avons fini par nous en accommoder mais si les politiques arrivent à sortir une véritable définition, cela aiderait tout le monde. Pour l'instant, la base, c'est la liste spéciale. Les postures ont fait place à l'intelligence." Pour Jean Saussay : "Nous avons de jeunes Calédoniens nés ici, partis quelque temps en suivant leurs parents, qui, lorsqu'ils reviennent, ne remplissent plus les critères de la citoyenneté, ce qui nous pose vraiment problème. Il vaudrait mieux jouer sur le nombre d'années de résidence sur le territoire, actuel ou passé. C'est un critère que les politiques devraient revoir."
Côté USTKE, "Tout en conservant la priorité aux Kanak, il y a des critères objectifs à prendre en compte comme le statut coutumier, la naissance, la langue, l'appartenance au pays..."
L'employeur reste libre de recruter qui il veut
Autre point de crispation : la consultation de la Commission sur l'emploi local n'est pas obligatoire. "Le Code du travail dit que l'employeur "peut" la consulter, précise Marie-Chanel Mataila. Pour nous, l'employeur "doit" la consulter." C'est d'ailleurs ce que demande le collège des salariés : que les offres d'emploi passent systématiquement par la commission, "notamment pour les emplois qui ne sont pas sous tension", précise Tony Dupré." Car force est de constater que tous les employeurs ne jouent pas le jeu. Certaines entreprises vont le faire de façon sincère pour faire constater qu'elles ne trouvent pas un citoyen ou une personne avec une durée de résidence suffisante, d'autres vont s'en servir comme d'une caution pour obtenir un constat de carence. Nous ne faisons qu'émettre un avis. Libre à l'employeur de recruter qui il veut." Ce qui fait bondir l'USTKE : " Nous ne sommes pas qu'une chambre d'enregistrement. Les moyens de contrôle des dérives et le système de sanction sont dérisoires." Une position que partage Tony Dupré : " La loi ne va pas assez loin."
Une loi qui doit évoluer
Quid de l'avenir ? Pour le président de la CPEL, "cette loi a le mérite d'exister et de s'appliquer, même a minima. Selon le collège dans lequel on se situe, on ne sera pas toujours en phase. Du côté salariés, on dira que les choses ne vont pas assez loin. Du côté du monde de l'entreprise, on dira qu'il faut être prudent, particulièrement au regard de la situation économique."
Effectivement pour Bertrand Courte du Medef : "Il faut resituer les choses au moment de la création de cette loi. C'était, en Calédonie, la période des grands chantiers : les Jeux du Pacifique NC 2011, le Médipôle, KNS, la reprise de la construction de Goro... Il y avait du travail de partout, on était sur des chiffres de croissance à deux chiffres. On parlait de la Calédonie comme d'un Eldorado. À ce moment, nous avons eu un afflux important de personnes. On peut comprendre la volonté de préserver les jeunes Calédoniens pour qu'ils puissent trouver un travail. Car de nombreuses personnes venaient tenter l'aventure. Aujourd'hui, nous sommes en quête d'attractivité, en manque de compétences. Les gens ont plus vite fait le trajet Tontouta-Paris que Paris-Tontouta au cours de ces dernières années. On ne peut appliquer aujourd'hui ce qui a été créé à une époque de plein emploi. Peut-être que dans dix ans, cela aura encore changé. Et on réadaptera encore. La loi date de 2010, elle est appelée à évoluer. "
Mise en garde
Évoluer mais pas disparaître, ce que craint l'USTKE qui se dit "très vigilante". Tony Dupré se veut rassurant sur un point : " Le côté transitoire de la fin de l'accord de Nouméa nous inquiétait, comme pour le gel du corps électoral. Il ne faut pas de cassure parce que les discussions démarrent. Nous avons eu confirmation sur le plan juridique que la loi est toujours active."
Quant aux discussions : "Je mettrais en garde le monde politique. Il ne faut pas toucher aux fondamentaux de la loi. Qu'elle soit revisitée, c'est normal. Mais il faudra s'appuyer sur les partenaires sociaux pour la faire évoluer. La CPEL dispose de bilans et a fait des propositions. L'équilibre reste fragile. Personne ne gagnerait au retour des bâches bleues devant les entreprises."
La fonction publique d'État échappe à l'emploi local
À l'exception de certains ministères, dont celui de l'Intérieur, la Fédération des fonctionnaires regrette que la fonction publique d'État ne joue pas le jeu.
Le texte concernant la fonction publique est sorti en 2016 avec la création de la Commission paritaire sur l'emploi local dédiée à la fonction publique. "Pour nous cela a été une grande satisfaction. Néanmoins, nous demandons depuis plusieurs années une modification de ce texte car il ne contient aucune obligation pour les employeurs de consulter la Commission paritaire pour l'emploi local (CPEL), ni de suivre l'avis de la CPEL", souligne le secrétaire général de la Fédération des fonctionnaires, Steeve Teriitehau.
En dépit de la mise en place du fameux tableau des activités professionnelles, rien n'oblige les employeurs récalcitrants à le respecter. " Il faut faire le forcing pour qu'ils présentent les postes devant la CPEL, ensuite il faut faire un nouveau forcing pour que, si d'aventure, il n'y a pas de carence, ils respectent l'avis de la CPEL, ce qui nous pose de sérieux soucis car de nombreuses collectivités ne jouent pas le jeu. Nous voudrions donc un système de sanction qui oblige les employeurs à consulter la CPEL et à respecter son avis."
L'exemple polynésien
Autre souci soulevé par la Fédération des fonctionnaires : ce texte n'est pas applicable à la fonction publique d'État. Or, selon son secrétaire général, "À Tahiti, une loi de 1966, appliquée depuis les années 1980, sanctuarise les postes publics d'État de catégories B et C aux locaux. Nous préparons un déplacement en Métropole pour demander l'homologie avec la Polynésie, avec quelques spécificités en cas de carence et des postes spécifiques pour lesquels on peut consulter les partenaires sociaux. Ici quelques ministères jouent le jeu, notamment celui de l'Intérieur, police, gendarmerie et haussariat, sur les catégories B et C. Mais nous n'avons aucun regard sur la justice ou l'enseignement. Ce qui se voit fréquemment sur des postes de catégorie C. Je rappelle que nous ne sommes pas fermés au recrutement de personnes extérieures. On dit juste que si on a les compétences et les diplômes, la priorité doit être donnée aux locaux. Nous sommes conscients que sur certains postes pointus, on ne peut pas se priver de certaines compétences externes, comme dans le numérique ou des domaines qui touchent à la technologie."
L'emploi local, comment ça marche ?
LE PRINCIPE
Ce que dit la loi du pays relative à la protection, à la promotion et au soutien de l'emploi local : " Dans le but de soutenir ou de promouvoir l'emploi local, la Nouvelle-Calédonie prend au bénéfice des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et des personnes qui justifient d'une durée suffisante de résidence, des mesures visant à favoriser l'exercice d'un emploi salarié. [...] De telles mesures sont appliquées dans les mêmes conditions à la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et à la fonction publique communale. La Nouvelle-Calédonie peut également prendre des mesures visant à restreindre l'accession à l'exercice d'une profession libérale à des personnes qui ne justifient pas d'une durée suffisante de résidence." La priorité s'applique à conditions de qualifications et de compétences égales.
LE TABLEAU DES ACTIVITÉS PROFESSIONNELLES
Cette loi protège l'accès à un métier donné, à qualifications et compétences égales, pour un citoyen ou à défaut de citoyen pour une personne justifiant d'une durée de résidence suffisante. Ces durées de résidence par métier sont répertoriées dans un tableau des activités professionnelles (TAP). Il faudra, par exemple, justifier de 10 ans minimum de résidence pour prétendre à un poste d'électricien dans le BTP, moins de 3 ans pour assurer la direction d'un magasin de grande distribution ou au moins 5 ans pour être aide en puériculture.
L'ORGANE DE CONTRÔLE
La Commission paritaire de l'emploi local a pour mission de veiller au respect de la loi sur l'emploi local. Elle émet un avis sur la conformité de l'embauche, peut faire réaliser une évaluation des compétences et être saisie aux fins de conciliation en cas de litige. Elle propose les adaptations nécessaires au dispositif de formation initiale, continue et par alternance. Elle peut être consultée par les employeurs, les organisations syndicales ou les institutions sur toutes les questions relevant de la problématique de l'emploi local.
UNE INSTANCE PARITAIRE
La commission est composée d'un nombre égal de représentants d'organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatifs au niveau de la Nouvelle-Calédonie mandatés par leur organisation.
La présidence est tournante et assurée les années paires par les salariés, et les années impaires par les employeurs. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante.
LES SAISINES
La CPEL peut être saisie par plusieurs voies. Par l'employeur, préalablement à l'embauche d'un salarié, pour faire constater la carence de candidature répondant aux spécifications de l'offre d'emploi. Par toute personne ayant fait acte de candidature sur l'emploi concerné, ou par l'employeur, pour contester les conditions d'embauche d'un salarié.
Le tableau des activités professionnelles sera révisé en 2023
Certaines évolutions ne peuvent pas attendre, à l'instar du tableau des activités professionnelles (TAP) qui fixe la durée minimale de résidence en Calédonie par métier. Des données qui n'ont pas été révisées depuis des années. "Les besoins évoluent, il y a des métiers dans lesquels on demande 5 à 10 ans de résidence minimum alors qu'on est en pénurie complète en Calédonie. On peut citer les électriciens, les développeurs, les informaticiens... Ces gens-là aujourd'hui n'existent pas en Calédonie ", déplore Bertrand Courte du Medef.
La remise à jour du tableau des activités professionnelles est une demande générale qui devrait aboutir, comme l'annonce Tony Dupré, le président de la Commission paritaire de l'emploi local : "Entre les métiers où des tensions apparaissent et ceux qui sont apparus, notamment dans l'informatique, dans l'énergie renouvelable, on n'est plus du tout à jour. Ce travail n'a pas pu être fait car on ne bénéficie pas de données précises. La Direction du travail et de l'emploi va nous aider. En 2023, on sera en mesure de modifier ce tableau. "
Ce que confirme le directeur de la DTE, Thierry Xozame, qui précise que "les tableaux seront consolidés par un accord collectif interprofessionnel. Cet accord fera l'objet d'un arrêté d'extension du gouvernement."
La DTE est chargée du contrôle des offres d'emploi qui doivent comporter la définition de l'emploi proposé par référence au tableau des activités professionnelles et indiquer de manière détaillée les qualifications et les compétences requises.
"On a un manque de ressources, mais pas de manque d'emplois"
Quel regard le monde économique pose-t-il sur l'emploi local ?
Sur la partie publique, même si ce n'est pas notre champ direct, ce qui nous paraît important c'est que certains domaines qui dépendent de l'État de droit ont besoin de sang neuf régulièrement pour fonctionner au mieux. Développer les compétences, oui, en revanche, prioriser les Calédoniens, ça dépend. Les politiques posent régulièrement la question de calédoniser un peu plus la justice ou la gendarmerie. Nous, on dit attention, cela fait partie de ces secteurs où l'État de droit est en jeu. Quand on calédonise, on se retrouve avec des personnes qui restent en poste sur une longue durée et qui vont bloquer cette nécessité de renouvellement.
Qu'en est-il du secteur privé ?
En matière de développement de compétences, le secteur privé a été un acteur naturel de l'emploi local. Dans le processus de recrutement, côté employeurs, de par leur responsabilité, les entreprises vont se tourner vers des Calédoniens. Les entreprises calédoniennes ont trouvé un intérêt à avoir des collaborateurs sur place car cela nous permet d'anticiper les carrières plus longuement, d'avoir un retour sur investissement de formation ou de ressources que l'on met. Cela permet aussi de créer une culture d'entreprise et un relationnel avec les différents interlocuteurs de l'entreprise.
Pour autant, avez-vous des problèmes de recrutement ?
Dans certains secteurs oui. Mais en suivant la procédure de l'emploi local, on peut recruter, même quand on a besoin de ressources qui ne sont pas calédoniennes. Ce qui est plus compliqué ce sont les conséquences de cette loi sur l'image et l'attractivité. Cela donne la perception d'un marché calédonien très fermé qui ne permet pas, sauf à avoir des procédures longues, à des non-citoyens d'accéder au travail. Je pense aussi aux conjoints de personnes qui viennent en Calédonie. Certaines compétences ne vont pas venir car pour elles, le sacrifice familial est trop important.
Ce dispositif est-il toujours adapté ?
Cette politique d'emploi local correspondait à une époque où nous avions besoin de mettre un coup d'accélérateur à la montée en compétences du marché du travail calédonien et aussi à une ambition légitime d'avoir des perspectives pour notre jeunesse. Désormais, les constats initiaux qui ont motivé l'emploi local il y a 30 ans doivent être adaptés.
En 2023, il faut que l'on parle de cette hémorragie démographique. La Nouvelle-Calédonie n'est plus attractive. Et que l'on ne se méprenne pas, elle ne l'est plus non plus pour les Calédoniens. On sait que des Calédoniens quittent la Calédonie et que des jeunes formés n'ont pas l'envie de revenir. Cela veut dire que l'on va avoir besoin de compétences.
Quelles sont-elles ?
Ces besoins correspondent à ceux de l'économie actuelle mais aussi, et surtout, à l'ambition que l'on porte pour la Calédonie qui va devoir faire une transition de son économie et trouver des leviers de croissance dans des domaines novateurs autour de la neutralité carbone, de la lutte contre le réchauffement climatique, de l'économie du climat. Entre aujourd'hui et les 15 prochaines années, on a un besoin criant de compétences nouvelles et mobilisables immédiatement. En termes d'attractivité sociale, politique, économique, de la sécurité, du mode de vie calédonien, il faut que l'on trouve des solutions pour avoir les ressources pour réaliser nos ambitions.
Quelles sont vos pistes en la matière ?
La fiscalité est un vrai enjeu. Est-ce que la Calédonie permet à ses contributeurs de prospérer, d'avoir un projet de vie pour faire le pas de s'installer ? Je n'en suis pas sûr. Il y a des actions qui pourraient avoir des conséquences immédiates : les conjoints peuvent-ils ou non travailler ? L'ouverture de droit pour l'accès au travail est de 10 ans pour certaines professions, n'est-ce pas trop long ? Certaines actions peuvent être menées avec un certain réalisme quand on enlève l'aspect politique des choses.
Que faire pour retenir les jeunes Calédoniens ?
Aujourd'hui tout jeune Calédonien qui veut participer à l'économie est le bienvenu pour les entreprises. Derrière il y a une nécessité d'engagement, de loyauté, d'éthique, mais cela, en tant que chefs d'entreprise, nous en prenons la responsabilité. On a un problème de manque de ressources, plutôt que de manque d'emplois. La CCI est un centre de formation important. Aujourd'hui, elle a même des problèmes pour retenir et attirer des formateurs. Cela devient dramatique. Comment va-t-on faire pour former nos jeunes ? Il nous faut donc des solutions immédiates.
Quel rôle pourraient jouer les entreprises ?
Les entreprises sont plutôt réactives face à l'innovation et aux secteurs porteurs de demain. Peut-être faut-il plus impliquer les entreprises dans la formation. On a des systèmes, notamment par l'alternance, où les entreprises sont partenaires. Mais peut-être faut-il des incitations plus fortes. Ce ne sont pas que des implications fiscales c'est aussi des incitations citoyennes, de responsabilité sociale et environnementale. Les entreprises calédoniennes sont de plus en plus prêtes. Il faut faciliter ces passerelles entre formation, formation des jeunes, formation continue et entreprise.