LNC.nc 03/01/2022
Jean-Louis Laval, Guillaume Benoit, président de la commission permanente Économie et Fiscalité du Medef, et Yann Lucien étaient réunis dans les locaux du Medef. Photo Niko Vincent. Interview de Jean-Frédéric Gallo
Étiez-vous au courant de la mise en place d'une telle réforme fiscale ?
Absolument pas. Le gouvernement dit haut et fort qu'il a calé la méthode avec nous mais c'est absolument faux. On a découvert la réforme la semaine dernière. Nous avons tout de suite demandé au gouvernement une rencontre pour évoquer plusieurs points de cette vague de mesures. Nous sommes en attente d'une réponse.
Que reprochez-vous en priorité à cette vague de mesure ?
L'hypothèse de base de la réforme est tout à fait fausse. Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie assure que le taux de prélèvement en Nouvelle-Calédonie est largement inférieur à celui de la Métropole. Mais son calcul est faux puisqu'il est basé sur un PIB de 1000 milliards qui prend en compte environ 180 milliards alloués par la France. Or, la réalité de la pression fiscale doit être calculée sur les seules richesses créées par la Calédonie, c'est à dire 825 milliards. Avec 350 milliard de prélèvements, on est plutôt à un taux de 43%, parmi les plus élevés au monde. Le gouvernement, lui, considère qu'on est taxé à 34 %. C'est une erreur d'appréciation majeure.
"Ces 30 milliards, s'ils ne vont pas aux Calédoniens, mais qu'ils servent à payer la dépense publique déjà en obésité morbide, seront un manque à gagner pour les entreprises."
Il y a certes plus de taxes mais également une volonté de relancer l'économie...
Nous n'avons aucune information supplémentaire sur ces réformes. Nous n'avons aucun chiffre pour les étudier. Le dernier PIB dont nous disposons est celui de 2019. Sauf qu'entre-temps est passée la Covid et il y a fort à parier que l'économie a été bouleversée. Si en façade il y a eu un petit regain de consommation il ne faut pas se laisser berner. Avec l'échéance référendaire, on a tué l'investissement. L'absence de perspective et de clarté aujourd'hui limite encore énormément d'investissement. Ce sont ces investissements qui créeront l'économie et les emplois de demain. Nous sommes sûrs que de l'emploi a été détruit sur les deux dernières années. Il y a fort à parier qu'à force de monter la fiscalité, les rendements escomptés n'arriveront pas.
Le rendement de ces mesures est tout de même estimé à 30 milliards. Cela vous semble réalisable ?
L'ampleur de la réforme que le gouvernement souhaite mettre en œuvre correspond effectivement à 30 milliards, soit un mois de consommation en Calédonie. Ce mois, s'il ne va pas aux Calédoniens, mais qu'il sert à payer la dépense publique déjà en obésité morbide, sera un manque à gagner pour les entreprises. Et que vont faire les ménages... C'est scandaleux. On nous impose une réforme fiscale absolument criminelle pour l'économie calédonienne et nous n'avons même pas l'ombre d'une piste d'économie pour la dépense publique.
Toujours est-il que le gouvernement doit prendre des engagements pour effectuer le nouvel emprunt de 28 milliards...
On a parfaitement conscience de l'impasse budgétaire de la Nouvelle-Calédonie, de son ampleur. On est tout à fait favorable à écrire la réforme fiscale qui permette un avenir serein pour le territoire. Tout en conservant une protection sociale et une éducation de qualité... Pour autant, il n'est pas question pour l'interpatronale de faire une réforme avec une absence totale de méthode qui conduira à un résultat contraire à celui qui est attendu par le gouvernement en place.
Comment voyez-vous l'avenir si toutes les réformes prévues sont faites en 2022 et 2023 ?
L'économie sera à terre. Les investissements se sont arrêtés durant les échéances référendaires et ils ne reprendront pas. Ce que nous souhaitons dire, c'est qu'ici, en Calédonie, nous serons tous gagnants ou tous perdants dans cette histoire. Ce que veut l'interpatronale, c'est créer les conditions économiques qui permettent de créer de l'investissement, et donc de l'emploi et donc des rendements fiscaux pour le gouvernement, qui feront que nous serons tous gagnants. Selon nous, la méthode et l'ampleur de cette réforme qui n'a pas de sens économique en termes de relance vont aller à l'encontre des attentes collectives. Aujourd'hui, les réformes de la CCS, de la TGC et du prix du tabac sont lancées, c'est déjà énorme. Fiscaliser et taxer une économie en berne, il y a fort à parier qu'on va dans le mur.
Autre raison avancée par le gouvernement, la réduction des inégalités. Comprenez-vous cet argument ?
Le gouvernement est extrêmement préoccupé par les problèmes d'inégalités. Nous aussi. Mais c'est au travers de la relance économique et de la création d'emploi qu'on réduira les inégalités. Est-ce qu'en 2008, au moment où l'on était en plein emploi, nous parlions d'inégalités ? Pas du tout. Laissez les entreprises participer à une réflexion intelligente pour créer un cadre favorable au développement économique pour qu'on puisse être à même de participer à la réduction des inégalités. Mais il faut en face réduire les dépenses publiques.
Repères
Relance
Pour Jean-Louis Laval, "la relance ne pourra se faire que par la confiance et l'écoute. Si on ne le fait pas, ça ne fonctionnera pas. Il ne suffit pas de s'imposer, ce n'est pas comme cela que ça fonctionne. Il risque d'y avoir de fortes oppositions et ça ne passera pas. Il y a de la précipitation. Ce n'est pas raisonnable que tous les acteurs ne soient pas au courant de ces réformes alors que la crise institutionnelle n'est pas encore résorbée."
Des mesures sur la table depuis 2019
"La majorité de ces mesures esten fait sur la table depuis 2019, à l'époque où Christopher Gygès s'occupait du dossier, précise Yann Lucien. Nous aurions dû passer l'année 2020 à travailler sur ces mesures pour présenter un plan fiscal en 2021. Cela n'a pas pu être fait notamment à cause du Covid."
"Aujourd'hui, c'est regrettable de voir toutes ces mesures qu'on ressort d'un tiroir sans qu'il n'y ait eu aucune concertation, poursuit Jean-Louis Laval. Il reprennent les pistes qui avaient été ouvertes mais qui méritaient discussions. De nous dire "maintenant taisez-vous", c'est tout de même insupportable."
20 000 consommateurs perdus
L'interpatronale tient à rappeler que la Calédonie a perdu 20 000 habitants depuis 2015, soit presque 7% de la population. Une proportion importante qui a eu un effet sur l'économie, ne laissant pas espérer un "rendement fiscal identique".